6e
--Juliette et moi passons toutes nos vacances chez notre tante
Anaïs. Nous aimons beaucoup son potager rempli de fleurs et de
légumes. Nous mettons nos chapeaux contre le soleil et en avant
au potager ! Elle nous donne des râteaux pour ôter les cailloux
et les herbes. Nous arrosons des rangées de tomates, de salades
et de choux avec de longs tuyaux. Nous sommes ses jardiniers.
On s’amuse aussi à s’arroser, mais elle n’aime pas quand nous
rentrons trempés !
--En été les animaux cherchent l’ombre, l’homme au chapeau de paille aussi. Il s'allonge sous les branches des saules qui bordent la rivière. Souvent il s'endort, nous le regardons dormir. Il bouge dans ses rêves. Nous aussi nous rêvons. Nous laissons nos cannes à pêche filer dans l'eau courante. Dans la rivière bruissante se dessine petit à petit un autre monde, accordé aux oiseaux qui nous entourent. Nous nous taisons. Nous écoutons la rivière qui nous emporte.
-- C’est un vaste parc, avec des arbres centenaires, des chênes et des marronniers roses. On aperçoit la chevelure des grands pins qui se balancent près du mur. Les allées sont bordées de lilas, de pommiers du Japon et de buissons où les abeilles bourdonnent. L’été, on déjeune au frais sous la charmille ombragée. La table en pierre a gardé un peu de mousse. À l’entrée du jardin, cela sentle buis et la sève de pin. On est à l’abri de tout.
-- Elle était brune, mais on devinait que le jour sa peau devait avoir ce beau reflet doré des Andalouses et des Romaines. [...] Elle dansait, elle tournait, elle tourbillonnait sur un vieux tapis de Perse, jeté négligemment sous ses pieds ; et chaque fois qu’en tournoyant sa rayonnante figure passait devant vous, ses grands yeux vous jetaient un éclair.
Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, 1831
-- La maison de mes rêves ne serait pas située sous quelque rive orientale, inondée de soleil et de vives couleurs. Je la placerais sur le rivage de l’océan, son jardin serait en pente douce vers la mer. De ma fenêtre, je découvrirais quelques bois de sapins. De la grille du jardin, on parviendrait à la maison par une allée sablée, soigneusement entretenue et bordée de buis. À l’intérieur, les bruits du dehors seraient étouffés et il y aurait toujours du feu dans la grande cheminée.
-- La tante de Paul voyageait beaucoup, en Russie mais aussi en Argentine et en Patagonie. Il ne savait plus très bien où c’était, mais c’était très loin, dans un autre hémisphère. Elle parlait des langues bizarres : elle était polyglotte. Son chat s’appelait Sacha. Il circulait tranquillement chez elle au milieu des piles de livres et de manus-crits. Lui seul arrivait à atteindre le haut de la bibliothèque.
--Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.
Arthur Rimbaud,Poèmes, 1870
Anaïs. Nous aimons beaucoup son potager rempli de fleurs et de
légumes. Nous mettons nos chapeaux contre le soleil et en avant
au potager ! Elle nous donne des râteaux pour ôter les cailloux
et les herbes. Nous arrosons des rangées de tomates, de salades
et de choux avec de longs tuyaux. Nous sommes ses jardiniers.
On s’amuse aussi à s’arroser, mais elle n’aime pas quand nous
rentrons trempés !
--En été les animaux cherchent l’ombre, l’homme au chapeau de paille aussi. Il s'allonge sous les branches des saules qui bordent la rivière. Souvent il s'endort, nous le regardons dormir. Il bouge dans ses rêves. Nous aussi nous rêvons. Nous laissons nos cannes à pêche filer dans l'eau courante. Dans la rivière bruissante se dessine petit à petit un autre monde, accordé aux oiseaux qui nous entourent. Nous nous taisons. Nous écoutons la rivière qui nous emporte.
-- C’est un vaste parc, avec des arbres centenaires, des chênes et des marronniers roses. On aperçoit la chevelure des grands pins qui se balancent près du mur. Les allées sont bordées de lilas, de pommiers du Japon et de buissons où les abeilles bourdonnent. L’été, on déjeune au frais sous la charmille ombragée. La table en pierre a gardé un peu de mousse. À l’entrée du jardin, cela sentle buis et la sève de pin. On est à l’abri de tout.
-- Elle était brune, mais on devinait que le jour sa peau devait avoir ce beau reflet doré des Andalouses et des Romaines. [...] Elle dansait, elle tournait, elle tourbillonnait sur un vieux tapis de Perse, jeté négligemment sous ses pieds ; et chaque fois qu’en tournoyant sa rayonnante figure passait devant vous, ses grands yeux vous jetaient un éclair.
Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, 1831
-- La maison de mes rêves ne serait pas située sous quelque rive orientale, inondée de soleil et de vives couleurs. Je la placerais sur le rivage de l’océan, son jardin serait en pente douce vers la mer. De ma fenêtre, je découvrirais quelques bois de sapins. De la grille du jardin, on parviendrait à la maison par une allée sablée, soigneusement entretenue et bordée de buis. À l’intérieur, les bruits du dehors seraient étouffés et il y aurait toujours du feu dans la grande cheminée.
-- La tante de Paul voyageait beaucoup, en Russie mais aussi en Argentine et en Patagonie. Il ne savait plus très bien où c’était, mais c’était très loin, dans un autre hémisphère. Elle parlait des langues bizarres : elle était polyglotte. Son chat s’appelait Sacha. Il circulait tranquillement chez elle au milieu des piles de livres et de manus-crits. Lui seul arrivait à atteindre le haut de la bibliothèque.
--Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.
Arthur Rimbaud,Poèmes, 1870
3e
Sur la place de la gare, une foule éperdue tourbillonnait. Beaucoup de gens étaient venus dans l'espoir de prendre le train, pour gagner quelque autre ville qu'ils pensaient épargnée par le fléau. Mais sur les portes closes, une affiche tracée à la main annonçait que rien ne fonctionnait plus. Des hommes avaient traîné leur famille entière [...], la mère et tous les enfants encombrés de colis.
Ils arrivaient à la gare, se heurtaient aux portes fermées,lisaient l'avis et reprenaient,effarés, le chemin de leur domicile. Que faire, où aller, comment quitter la capitale où ils ne trouveraient bientôt plus de quoi manger? Certains, découragés, s'asseyaient sur leurs valises, et mêlaient leurs larmes à la sueur qui coulait sur leur visage.[...](René Barjavel, Ravage)
Cependant, comme j'use beaucoup, on m'a acheté, dans la campagne, une étoffe jaune et velue, dont je suis enveloppé. [...]
Mais l'étoffe dans laquelle on a taillé mon pantalon se sèche et se racornit, m'écorche et m'ensanglante.
Hélas ! Je vais non plus vivre, mais me traîner.
Tous les jeux de l'enfance me sont interdits. Je ne puis jouer aux barres, sauter, courir, me battre. Je rampe seul, calomnié des uns, plaint par les autres, inutile ! Et il m'est donné, au sein même de ma ville natale, à douze ans, de connaître, isolé dans ce pantalon, les douleurs sourdes de l'exil.
(Jules Vallès, L'Enfant)
Ils s'emparaient complètement de leur petit-fils, décidant de tout à son propos, comme si j'étais restée une petite fille incapable de s'occuper d'un enfant. Accueillant avec doute les principes d'éducation que je croyais nécessaires, faire la sieste et pas de sucreries. On mangeait tous les quatre à la table contre la fenêtre, l'enfant sur mes genoux. Un beau soir calme, un moment qui ressemblait à un rachat.
Mon ancienne chambre avait conservé la chaleur du jour. Ils avaient installé un petit lit à côté du mien pour le petit bonhomme. Je n'ai pas dormi avant deux heures après avoir essayé de lire. À peine branché, le fil de la lampe a noirci, avec des étincelles, l'ampoule s'est éteinte. Une lampe en forme de boule posée sur un socle de marbre avec un lapin de cuivre droit, les pattes repliées. Je l'avais trouvée très belle autrefois.
(Annie Ernaux, La place)
Ils arrivaient à la gare, se heurtaient aux portes fermées,lisaient l'avis et reprenaient,effarés, le chemin de leur domicile. Que faire, où aller, comment quitter la capitale où ils ne trouveraient bientôt plus de quoi manger? Certains, découragés, s'asseyaient sur leurs valises, et mêlaient leurs larmes à la sueur qui coulait sur leur visage.[...](René Barjavel, Ravage)
Cependant, comme j'use beaucoup, on m'a acheté, dans la campagne, une étoffe jaune et velue, dont je suis enveloppé. [...]
Mais l'étoffe dans laquelle on a taillé mon pantalon se sèche et se racornit, m'écorche et m'ensanglante.
Hélas ! Je vais non plus vivre, mais me traîner.
Tous les jeux de l'enfance me sont interdits. Je ne puis jouer aux barres, sauter, courir, me battre. Je rampe seul, calomnié des uns, plaint par les autres, inutile ! Et il m'est donné, au sein même de ma ville natale, à douze ans, de connaître, isolé dans ce pantalon, les douleurs sourdes de l'exil.
(Jules Vallès, L'Enfant)
Ils s'emparaient complètement de leur petit-fils, décidant de tout à son propos, comme si j'étais restée une petite fille incapable de s'occuper d'un enfant. Accueillant avec doute les principes d'éducation que je croyais nécessaires, faire la sieste et pas de sucreries. On mangeait tous les quatre à la table contre la fenêtre, l'enfant sur mes genoux. Un beau soir calme, un moment qui ressemblait à un rachat.
Mon ancienne chambre avait conservé la chaleur du jour. Ils avaient installé un petit lit à côté du mien pour le petit bonhomme. Je n'ai pas dormi avant deux heures après avoir essayé de lire. À peine branché, le fil de la lampe a noirci, avec des étincelles, l'ampoule s'est éteinte. Une lampe en forme de boule posée sur un socle de marbre avec un lapin de cuivre droit, les pattes repliées. Je l'avais trouvée très belle autrefois.
(Annie Ernaux, La place)