EPI : Antigone, Sophocle
« Antigone » est une tragédie grecque de l’Antiquité qui fut composée par Sophocle aux alentours de 442 av J.-C. Cette histoire fait partie ce que l’on appelle communément le « cycle des Labdacides » où cycle d’Œdipe, dont elle constitue l’épilogue. Cette histoire, ayant pour objet la dépouille d’un ennemi fraternel, raconte à travers l’opposition d’un roi, Créon, et de sa nièce, Antigone, l’opposition de deux visions de la justice et de la société
le texte abrégé pour la représentation
Antigone, Sophocle :
Personnages :
Antigone : Marie Guilbault
Ismène : Coralie
Créon : Iannis
Hémon : Arthur
le garde du cadavre : Thomas
le messager : Louan
le devin Tirésias : Joris
le Choryphée : Léna / Oscar
Eurydice : Ana / Aure
le garde du palais : Alexandre
Le choeur
Une place, à Thèbes, dans le palais des Labdacides.
ANTIGONE
sérieuse
Chère Ismène, ma sœur, toi qui partages mon sort funeste, que notre père Oedipe nous a laissé en héritage, je t'ai donné rendez-vous hors du palais pour te parler sans témoins.
ISMENE
troublée
Que se passe-t-il ? Je vois bien que tu médites quelque chose.
ANTIGONE
empathique / déterminée
Nos deux frères sont morts, mais sur l'otdre du roi Créon, un seul sera enseveli selon les rites. Le malheureux Polynice est laissé aux chiens et aux oiseaux, avec interdiction de lui rendre les hommages funèbres sous peine de mort. Mais je veux, de mes mains, ensevelir le corps de notre frère Polynice : m'y aideras-tu ?
ISMENE
affolée puis résignée
Mais tu es folle ? Et la défense de Créon ? Notre famille n'a-t-elle pas assez souffert ? Notre père est mort déshonoré ; sa femme s'est pendue. Et nos deux frères se sont entre-tués ! Nous sommes seules à présent, et nous sommes des femmes : jamais nous n'aurons raison contre des hommes. Le roi est le roi : il nous faut bien obéir.
ANTIGONE
Fais donc ce qu'il te plaira, j'irai recouvrir le corps de mon frère bien aimé.
ISMENE
inquiète
Malheureuse, que je tremble pour toi !
PREMIER EPISODE
Entrée du choeur :
CHOEUR :
solennel (puissance)
Clarté splendide ! La plus belle des lumières qui aient lui sur Thèbas aux sept portes, tu as enfin paru, jour doré ! Polynice, s’était abattu ici comme un aigle à l’aile de neige, avec des armes innombrables. Or Zeus hait l’impudence et il a renversé celui qui se préparait à pousser le cri de la victoire au faîte de nos murailles. Et les sept Chefs, dressés aux sept portes contre sept autres, laissèrent leurs armes d’airain à Zeus , excepté ces deux malheureux frères qui, nés du même père et de la même mère, se sont frappés l’un l’autre de leurs lances et ont reçu une commune mort.
Oublions donc ces combats, et menons des chœurs nocturnes dans tous les temples des Dieux. Voici le roi du pays, Créon, fils de Ménécée. Préoccupé, il a convoqué l' assemblée du sénat
CREON
conscient de son pouvoir (tension)
Citoyens, je vous ai convoqués ; le pouvoir souverain m'est revenu comme au plus proche parent des deux fils d'Oedipe qui se sont entre-tués/ Eteocle, guerrier hors pair, mort en servant son pays, sera enseveli avec tous les honneurs qui accompagnent sous la terre les plus glorieux. Mais son frère, Polynice, le banni qui n'est revenu que pour livrer la ville aux flammes, je défends de l'honorer d'un tombeau, de le pleurer. Bien entendu, j'ai placé des gardes près du cadavre.
LE GARDE DU CADAVRE (qui arrive en courant)
apeuré / mal à l'aise
Roi, j'ai hésité à venir, j'avais peur du châtiment. Mais j'ai préféré me présenter devant toi, de peur que tu ne l'apprennes par quelqu'un d'autre.
CREON
impatient
Eh bien, qu'est-ce qui t'inquiète ?
LE GARDE
pleutre/peureux
Avant d'aller plus loin, je veux t'assurer que ce n'est pas moi qui ai fait le coup, et je n'ai pas vu celui qui l'a fait. Je n'ai pas mérité que l'on me fasse des ennuis.
CREON
impatient, agressif
Parle à la fin ! Tu t'en iras soulagé.
LE GARDE DU CADAVRE
concis en espérant que Créon ne va pas s'énerver
En un mot comme en cent, quelqu'un a répandu de la terre sur le cadavre, conformément aux rites.
CREON
énervé, mécontent
Que dis-tu ? Qui a eu cette audace ?
LE GARDE DU CADAVRE
inconscient de la portée de ce qu'il dit
Je l'ignore : au matin, le cadavre était devenu invisible. Il n'était pas enterré, non, mais recouvert de poussière . Juste de quoi éviter le sacrilège envers les dieux.
CREON
en colère
Ah ! Tôt ou tard ils seront punis ! Si vous ne me découvrez pas les coupables, vous serez mis à mort.
(le garde s'en va, le roi rentre dans le palais)
LE CHOEUR
admiratif
Il n'est rien de plus admirable que l'homme. Il s’est donné la parole et la pensée rapide et les lois des cités, et il a mis ses demeures à l’abri des gelées et des pluies. Ingénieux en tout, il ne manque jamais de prévoyance en ce qui concerne l’avenir. Il n’y a que le Hadès auquel il ne puisse échapper, mais il a trouvé des remèdes aux maladies dangereuses. Plus intelligent en inventions diverses qu’on ne peut l’espérer, il fait tantôt le bien, tantôt le mal, violant les lois de la patrie et le droit sacré des Dieux. Celui-là, qu'il soit banni de la Cité ! colère
Par un prodige incroyable, ce ne peut être Antigonè, bien que ce soit elle que je vois. Ô malheureuse fille du malheureux Oedipe, qu’y a-t-il ? Ceux-ci t’amènent-ils pour avoir méprisé la loi du roi et avoir osé une action insensée ? inquiétude,
incompréhension
DEUXIEME EPISODE
LE GARDE DU CADAVRE
fier de lui
La voici, la coupable. Prise en flagrant délit. Où donc est Créon ?
LE CHORYPHEE :
Il était rentré au palais, mais le voici qui revient tout juste. ( Créon arrive)
LE GARDE DU CADAVRE
soulagé
Roi, je t'amène cette jeune fille qu'on a surprise en train d'arranger la sépulture. Maintenant que tu la tiens, roi, à toi de l'interroger et d'obtenir ses aveux.
Me voici tiré d'affaire, j'ai bien gagné ma liberté ( se prépare à s 'en aller Créon n'a pas reconnu Antigone, elle baisse la tête)
CREON
conscient de son pouvoir
Cette fille que tu amènes, où l'as-tu prise ? Et comment ?
LE GARDE
prend trop de confiance
Je l'ai vue ensevelissant le cadavre que tu as interdit d'ensevelir.. Cela n'est-il point clair et précis ?
CREON, (à Antigone)
Eh bien toi, oui toi, qui baisses le front vers la terre, reconnais-tu les faits ?
ANTIGONE
sûre d'elle, sereine
Je les reconnais formellement.
CREON
(au garde)
il a reconnu sa nièce, fait sortir le témoins pour pouvoir réagir
File où tu voudras, tu es libre.
( à Antigone)
Réponds-moi, connaissais-tu mon interdiction ?
ANTIGONE
sûre d'elle, aucune peur
(elle doit le regarder dans les yeux)
Comment ne l'aurais-je pas connue ?
CREON
un peu déconcerté
Et tu as osé ?
ANTIGONE
idem
Le sort qui m'attend n'a rien qui me tourmente. Je préfère mourir que de voir mon frère sans sépulture, et son âme interdite au séjour des morts.
CREON
furieux, donc exagère
Elle est ma nièce, mais ni elle ni sa sœur n'échapperont au châtiment. Car j'accuse également Ismène d'avoir comploté avec elle. Qu'on l'appelle ! Je l'ai rencontrée tout à l'heure au palais, l'air égaré.
ANTIGONE
essaie de protéger sa soeur
je suis ta prisonnière, que te faut-il de plus ?
CREON
essaie de la raisonner
Rien, ce châtiment me satisfait. Mais ton frère Etéocle, n'est-ce pas lui faire injure que d'enterrer son meurtrier ? Même s'il est aussi ton frère ?
ANTIGONE
solennelle
Je suis faite pour partager l'amour, non la haine.
laisser un silence
CREON
exaspéré
Descends donc là-bas ! Et s'il te faut aimer à tout prix, aime donc les morts ! Moi vivant, ce n'est pas une femme qui fera la loi.
LE CHOEUR
attendri
Voici, devant les portes, Ismène qui verse des larmes à cause de sa sœur. Le nuage qui tombe de ses sourcils altère son visage qui rougit, et sillonne de larmes ses belles joues.
CREON (voyant arriver Ismène )
furieux, agressif
Et toi vipère ! Parle ! Ou vas-tu dire que tu ignorais tout ?
ISMENE
faible, peur des conséquences pour elle
Ma sœur, laisse-moi mourir à tes côtés.
ANTIGONE
seule, ironie froide
Tiens, tu me ferais rire, si j'avais le coeur à rire. Tu as opté pour la vie, moi, je préfère mourir.
ISMENE
essaie des arguments, reprend de l'assurance, pour ne pas se retrouver seule
Vas-tu livrer à la mort la fiancée de ton fils ?
CREON
exaspéré
Il trouvera une autre femme à épouser ! Tu m'importunes à la fin, avec ce mariage !
LE CHORYPHEE
La chose est résolue, je le vois, elle mourra.
LE CHOEUR
triste
Je vois, depuis un temps ancien, dans la maison des Labdacides, les calamités s’ajouter aux calamités de ceux qui sont morts. Une génération n’en sauve pas une autre génération, mais toujours quelque dieu l’accable et ne lui laisse aucun repos. Une lumière brillait encore, dans la maison d’Oedipe, mais voici qu’elle est moissonnée par la faux sanglante des dieux souterrains.
Je ne sais qui a dit cette parole célèbre : — Celui qu’un dieu pousse à sa perte prend souvent le mal pour le bien, et il n’échappe à la ruine que pour très-peu de temps. — Mais voici Hémon, le dernier de tes enfants. Vient-il, gémissant sur la destinée d’Antigone, affligé à cause de ce mariage qui lui est refusé ?
TROISIEME EPISODE
CREON
froid, préoccupé des apparences
Mon fils, le décret irrévocable qui condamne ta fiancée va-t-il te dresser furieux contre ton père ? Ou nous gardes-tu, toi du moins, une affection à toute épreuve ?
HEMON
soumis
Mon père, je t'appartiens. Aucun mariage n'aura à mes yeux plus de prix que ta sage autorité.
LE CHOEUR
souci de paix sociale
À moins que nous nous abusions à cause de notre vieillesse, il nous semble que tu parles sagement.
CREON
soulagé, fier de son pouvoir, le prend de haut
Voilà précisément, mon fils, les sentiments qu'il convient d'avoir : oui, tout doit passer après la volonté d'un père. Je la condamne à mort. L'anarchie est le pire des fléaux. C'est pourquoi notre devoir est de défendre l'ordre et de ne jamais souffrir qu'une femme ait le dessus. Mieux vaut tomber, s'il le faut , sous les coups d'un homme, que d'être appelé vaincu par une femme.
HEMON
diplomate, respectueux
Père, je ne dirai pas que tu as tort. Seulement, d'autres peuvent aussi être dans le vrai. Moi, je passe inaperçu, j'entends ce qu'on dit ici et là : la ville plaint cette jeune fille : son frère tué à la guerre était privé de sépulture, elle n'a pas voulu abandonner son corps aux chiens et aux oiseaux. Cela mériterait plutôt une couronne d'or ! Ne te crois pas l'unique détenteur de la vérité. Ceux qui pensent avoir seuls reçu la sagesse, on découvre bien vite qu'ils sont dans l'erreur. Reviens sur ta décision ; il n'est jamais déshonorant d'écouter un avis judicieux.
CREON
outré qu'on conteste son pouvoir
A mon âge ! Souffrir qu'un jeune homme me donne des leçons !
HEMON
diplomate, vérités générales
Je suis jeune, c'est vrai. Mais juge-moi sur mes actes, non sur mon âge.
LE CHOEUR
sagesse, se déplace de derrière Créon vers le fond de scène, entre les deux personnages
Roi, s’il a bien parlé, il est juste que tu te laisses instruire, et toi par ton père, car vos paroles sont bonnes à tous deux.
CREON
se tourne vers le public parce que tout le :monde le lâche
Appartient-il à l'opinion publique de nous dicter notre conduite ?
HEMON
plus offensif et plus direct, mais sans aller trop loin
Ne vois-tu pas que tu parles là, toi, comme un jeune homme ?
CREON
se sent offensé, donc colère
Ce n'est pas pour moi, peut-être, que je dois gouverner ? N'est-ce pas un principe reconnu que la cité appartient à son souverain ?
HEMON
froid, maître de lui
De cité faite pour un seul, il n'en existe pas. A moins de régner sur un désert ! Je te vois prêt à commettre une injustice.
CREON
méprisant
Tous les mots que tu dis ne sont que pour elle.
HEMON
crescendo, appel aux valeurs de la famille, de la société, aux valeurs divines
Et pour toi aussi, et pour moi, et pour les dieux des enfers.
CREON
très agressif
Cette femme, ; non, jamais tu ne l'épouseras vivante !
HEMON
sang froid / menace calme
Elle mourra donc,, mais sa mort tuera un autre.
CREON
déstabilisé
Tu oses me menacer maintenant ?
HEMON
lucide mais essaie d'y mettre les formes
Où vois-tu que je te menace ? Je ne fais que répondre à tes propres paroles. Si tu n'étais pas mon père , je dirais que c'est toi qui as le cerveau troublé.
CREON
injurieux(technique d'argumentation quand on n'a pas d'argument)
Serviteur d 'une femme ! Cesse de m'énerver !
HEMON
lucide, commente, parle plus fort
Tu t'étourdis de paroles pour t'empêcher de m'entendre !
CREON
colère, menace,
Tu vas payer cher tes reproches insolents
(au garde )
cruauté
Amène cette odieuse fille ! Je veux la faire périr, séance tenante, sous les yeux de son fiancé.
HEMON
calme, défie son père, le met en garde
N'y compte pas ; elle ne mourra pas sous mes yeux. Et toi, tu n'auras plus jamais à supporter ma présence. Donne ta folie en spectacle à d'autres ! ( il sort)
LE CHŒUR.
un peu amer
Cet homme s’en va plein de colère, ô Roi ! Dans un tel esprit, une ardente et cruelle douleur est chose redoutable.
CREON :
perd toute maîtrise
Il passe les bornes, ce petit orgueilleux ! Son Antigone, je l'enfermerai vivante dans un caveau, en lui laissant de la nourriture pour quelques jours. Très loin, dans un lieu désert, afin que la ville échappe à la souillure.
LE CHŒUR.
solennel, sombre, empathique
Mais à mon tour je me révolte, et ne puis retenir mes larmes, lorsque je vois notre Antigone s'avancer déjà vers la chambre où toute vie va s'éteindre.
Seule entre les mortels, libre et vivante, tu descends chez Hadès.
QUATRIEME EPISODE
ANTIGONE
solennelle
Sur mon dernier chemin je m'avance, et je vois mon dernier soleil. Le fleuve des enfers sera mon époux. Me voici, maudite, et sans mari. Toi mon frère, en mourant, tu m'as pris ma vie.
CREON, sur le seuil du palais.
exaspéré parce qu'il n'a pas d'emprise sur elle.
A force qu'elle se répande en complaintes et en gémissements, on n'en finira plus ! N'allez-vous pas l'emmener au plus vite ? Enfermez-la dans le tombeau et laissez-la emmurée là dessous. Moi, j'ai les mains pures.
ANTIGONE
solennelle
Tombeau, ma chambre nuptiale, mon éternelle prison dans la terre ! Je vais y retrouver les miens, que Perséphone a presque tous accueillis parmi les morts. Mais qu'importe ?
Créon dit que j'ai commis un crime d'une audace effroyable. Il me fait arrêter, il m'emmène, il me prive de mon fiancé, de mes noces ; sans amis, seule, je descends vivante au caveau des morts. Qui appellerais-je au secours ? Il n'y a plus d'espoir si les dieux acceptent ainsi que disparaisse celle qui leur obéit.
LE CHŒUR.
reproches
C’est une piété que d’honorer les morts ; mais il n’est jamais permis de ne point obéir à qui tient la puissance. C’est ton esprit inflexible qui t’a perdue.
CINQUIEME EPISODE
(entre Tirésias)
CREON
respectueux
Qu'y a-t-il de nouveau, vénérable devin Tirésias ? Je ne me suis jamais écarté de tes avis.
TIRESIAS
respectueux, crée un temps de tension*
Aussi as-tu gouverné dans la bonne direction. Mais maintenant…
CREON
commence à être ébranlé
Qu''y a-t-il ? Je frissonne à tes paroles…
TIRESIAS
sérieux, réprobateur
Les dieux n'acceptent plus les sacrifices qu'on leur offre ; tu les as offensés. Ne persécute pas un cadavre. Un mort n'a pas besoin d'être tué deux fois.
CREON
déterminé, importuné
Ah, vieillars ! Jamais, même s'il prend fantaisie aux aigles de Zeus d'en porter les lambeaux jusqu'au trône de leur maître, jamais je ne tremblerai au point de laisser ensevelir ce corps !
TIRESIAS
sérieux, réprobateur
Tu m'accuses de prédire des mensonges ?
CREON
déterminé
Tais-toi, rien ne me fera revenir sur mes décisions.
TIRESIAS
met en garde, froid
Soit, je t'avertis donc à mon tour que plusieurs soleils n'accompliront pas leur course que tu ne verras la mort de ton enfant. Je préfère m'en aller.
LE CHŒUR
double la mise en garde
Ô Roi, cet homme s’en va, ayant prédit de terribles choses. Et nous savons, depuis que nos cheveux noirs sont devenus blancs, qu’il n’a jamais rien prophétisé de faux à cette ville.
CRÉÔN
troublé
Je le sais aussi et mon esprit se trouble. Que faut-il faire ? Parle ; j’obéirai.
LE CHŒUR
conseil très ferme
Fais sortir la jeune fille de son caveau souterrain ; dresse au mort un tombeau, sans perdre un moment, pour éviter le châtiment divin.
CRÉÔN.
appréhension, espère éviter le pire
Tu me conseilles ceci et tu penses que je dois le faire ?
LE CHŒUR.
Certes, Ô Roi, et très-promptement. Les châtiments des Dieux ont des pieds rapides et atteignent en peu de temps ceux qui font le mal.Va donc ! Agis toi-même, et ne remets ce soin à aucun autre.
CRÉÔN.
résolu
Hélas ! je renonce avec peine à ma première pensée, mais j’y renonce. De même que je l’ai liée, je la délivrerai moi-même.
DERNIER EPISODE
(entre un messager)
LE CHOEUR
Qui a tué ? qui a péri ? Parle.
LE MESSAGER
empathique et solennel tout au long
Hémon a péri de sa main, révolté contre un père assassin.
LE CHŒUR
Ô devin, elles ne mentaient donc pas, tes prédictions !
CHORYPHEE
J'aperçois Eurydice, mère d'Hémon, la malheureuse épouse de Créon.. A-t-elle compris qu'on parlait de son fils ?
EURYDICE (sur le seuil du palais)
résignée
J'ai appris un malheur pour mon fils, et je suis tombée à la renverse dans les bras de mes femmes, paralysée par la terreur. Allons, quelle que soit la ,nouvelle, répétez-la devant moi. Je saurai entendre mon malheur.
LE MESSAGER
C'est moi qui ai guidé le roi à travers la plaine, vers le corps lamentable de Polynice. Puis nous avons baigné ce corps dans l'eau pure et nous l'avons enveloppé de branchages frais, avant de le déposer dans le sol.
Puis nous gagnons le caveau de la jeune fille. Des cris de désespoir lui parviennent confusément. Créon gémit. : « N'est-ce pas la chère voix de mon fils ? Je crois la reconnaître… Serviteurs ; courez au caveau, vite !»
Au fond du tombeau, nous découvrons la jeune fille, pendue, le cou serré dans un nœud de son écharpe de lin. Hémon s'était jeté contre ce corps qu'il étreignait. Il gémissait sur sa fiancée descendue dans la mort. Son père l'aperçoit, il entre, tout secoué de rudes sanglots, et l'appelle d'une voix plaintive : « Infortunée, qu'as-tu fait?Mon enfant, je t'implore, je te supplie de sortir ! »
Mais le fils, comme fou, lui crache au visage, et dégaine sans lui répondre un mot. Son père bondit de côté , esquivant le coup. Alors le malheureux tourne sa fureur contre lui-même : allongeant le bras, il appuie sur sa poitrine la pointe de son épée et l'enfonce. A peine conscient, lui qui déjà défaille, il attire contre lui la jeune fille dont la joue pâle est inondée de sang. Les deux cadavres gisent, enlacés.
(Eurydice entre au palais, lentement, abattue)
CHORYPHEE
La reine, sans un mot, s'est retirée. Un trop grand silence me paraît aussi lourd de menaces qu'une explosion de cris.
LE MESSAGER
Entrons dans le palais. Tu as raison : un trop grand silence est lourd de menaces.
CHORYPHEE
dégoût, désespoir, apitoiement
Un instant, voici le roi qui s'avance.
CREON
s'apitoie sur lui-même
Ö mortelle obstination ! Malheur à moi ! O mon fils,fauché par le destin, hélas ! C'est ma faute, ah ! Fous que j'étais, c'est ma faute !
LE CHŒUR
Hélas, il est bien tard pour voir clair, je le crains.
CREON
Malheureux que je suis, la mort m'ouvre les yeux.. Hélas ! Hélas ! Ô dure épreuve d'être un homme !
MESSAGER DU PALAIS
Maître, tu vas entrer en possession de ton malheur tout entier : tu en portes une partie dans tes bras, mais l'autre attend à l'intérieur du palais et tu ne vas pas tarder, je crois, à l'avoir sous les yeux.
CREON
Que m'arrive-t-il de pire ? Ou seulement de plus ?
MESSAGER DU PALAIS
Roi, ta femme vient de succomber, la malheureuse, à la blessure qu'elle s'est faite.
CREON
désespoir, à la limite de la folie
Quelle est cette nouvelle encore ? Cette horrible nouvelle ? Ai-je bien entendu ? Ah, mon ami, tu as dit… Quoi ? Ah ! C'est un mort que tu achèves ! Quoi ? Ma femme, à présent, ma femme après mon fils, à son tour, s'est frappée ? Ainsi, partout, partout autour de moi, partout, la mort….
MESSAGER DU PALAIS
Blessée d'une pointe aiguë, elle a laissé sur ses yeux ses paupières pleines d'ombre se fermer ; elle a maudit, dans son dernier souffle, le père meurtrier de ses enfants.
CREON
Ah ! Ah ! Je suis ivre d'horreur, Je suis un misérable. Vite, vite, que la mort vienne ! Que je la voie enfin, : je la trouverai belle pour la première fois, car ce sera ma mort ! Qu'elle se hâte à mon appel ! Je ne veux plus voir encore se lever le jour.
LE CHŒUR
Ce qui doit être sera.
CREON
Mon fils, non, je ne voulais pas, ni toi ma femme, vous tuer. O détresse, tout m'échappe de ce que je tenais ; je n'en puis plus.
Finale :
LE CHŒUR.
La meilleure part du bonheur est donnée par la sagesse. Les paroles superbes attirent aux orgueilleux de terribles coups du sort qui leur enseignent, un peu tard, la sagesse.
Personnages :
Antigone : Marie Guilbault
Ismène : Coralie
Créon : Iannis
Hémon : Arthur
le garde du cadavre : Thomas
le messager : Louan
le devin Tirésias : Joris
le Choryphée : Léna / Oscar
Eurydice : Ana / Aure
le garde du palais : Alexandre
Le choeur
Une place, à Thèbes, dans le palais des Labdacides.
ANTIGONE
sérieuse
Chère Ismène, ma sœur, toi qui partages mon sort funeste, que notre père Oedipe nous a laissé en héritage, je t'ai donné rendez-vous hors du palais pour te parler sans témoins.
ISMENE
troublée
Que se passe-t-il ? Je vois bien que tu médites quelque chose.
ANTIGONE
empathique / déterminée
Nos deux frères sont morts, mais sur l'otdre du roi Créon, un seul sera enseveli selon les rites. Le malheureux Polynice est laissé aux chiens et aux oiseaux, avec interdiction de lui rendre les hommages funèbres sous peine de mort. Mais je veux, de mes mains, ensevelir le corps de notre frère Polynice : m'y aideras-tu ?
ISMENE
affolée puis résignée
Mais tu es folle ? Et la défense de Créon ? Notre famille n'a-t-elle pas assez souffert ? Notre père est mort déshonoré ; sa femme s'est pendue. Et nos deux frères se sont entre-tués ! Nous sommes seules à présent, et nous sommes des femmes : jamais nous n'aurons raison contre des hommes. Le roi est le roi : il nous faut bien obéir.
ANTIGONE
Fais donc ce qu'il te plaira, j'irai recouvrir le corps de mon frère bien aimé.
ISMENE
inquiète
Malheureuse, que je tremble pour toi !
PREMIER EPISODE
Entrée du choeur :
CHOEUR :
solennel (puissance)
Clarté splendide ! La plus belle des lumières qui aient lui sur Thèbas aux sept portes, tu as enfin paru, jour doré ! Polynice, s’était abattu ici comme un aigle à l’aile de neige, avec des armes innombrables. Or Zeus hait l’impudence et il a renversé celui qui se préparait à pousser le cri de la victoire au faîte de nos murailles. Et les sept Chefs, dressés aux sept portes contre sept autres, laissèrent leurs armes d’airain à Zeus , excepté ces deux malheureux frères qui, nés du même père et de la même mère, se sont frappés l’un l’autre de leurs lances et ont reçu une commune mort.
Oublions donc ces combats, et menons des chœurs nocturnes dans tous les temples des Dieux. Voici le roi du pays, Créon, fils de Ménécée. Préoccupé, il a convoqué l' assemblée du sénat
CREON
conscient de son pouvoir (tension)
Citoyens, je vous ai convoqués ; le pouvoir souverain m'est revenu comme au plus proche parent des deux fils d'Oedipe qui se sont entre-tués/ Eteocle, guerrier hors pair, mort en servant son pays, sera enseveli avec tous les honneurs qui accompagnent sous la terre les plus glorieux. Mais son frère, Polynice, le banni qui n'est revenu que pour livrer la ville aux flammes, je défends de l'honorer d'un tombeau, de le pleurer. Bien entendu, j'ai placé des gardes près du cadavre.
LE GARDE DU CADAVRE (qui arrive en courant)
apeuré / mal à l'aise
Roi, j'ai hésité à venir, j'avais peur du châtiment. Mais j'ai préféré me présenter devant toi, de peur que tu ne l'apprennes par quelqu'un d'autre.
CREON
impatient
Eh bien, qu'est-ce qui t'inquiète ?
LE GARDE
pleutre/peureux
Avant d'aller plus loin, je veux t'assurer que ce n'est pas moi qui ai fait le coup, et je n'ai pas vu celui qui l'a fait. Je n'ai pas mérité que l'on me fasse des ennuis.
CREON
impatient, agressif
Parle à la fin ! Tu t'en iras soulagé.
LE GARDE DU CADAVRE
concis en espérant que Créon ne va pas s'énerver
En un mot comme en cent, quelqu'un a répandu de la terre sur le cadavre, conformément aux rites.
CREON
énervé, mécontent
Que dis-tu ? Qui a eu cette audace ?
LE GARDE DU CADAVRE
inconscient de la portée de ce qu'il dit
Je l'ignore : au matin, le cadavre était devenu invisible. Il n'était pas enterré, non, mais recouvert de poussière . Juste de quoi éviter le sacrilège envers les dieux.
CREON
en colère
Ah ! Tôt ou tard ils seront punis ! Si vous ne me découvrez pas les coupables, vous serez mis à mort.
(le garde s'en va, le roi rentre dans le palais)
LE CHOEUR
admiratif
Il n'est rien de plus admirable que l'homme. Il s’est donné la parole et la pensée rapide et les lois des cités, et il a mis ses demeures à l’abri des gelées et des pluies. Ingénieux en tout, il ne manque jamais de prévoyance en ce qui concerne l’avenir. Il n’y a que le Hadès auquel il ne puisse échapper, mais il a trouvé des remèdes aux maladies dangereuses. Plus intelligent en inventions diverses qu’on ne peut l’espérer, il fait tantôt le bien, tantôt le mal, violant les lois de la patrie et le droit sacré des Dieux. Celui-là, qu'il soit banni de la Cité ! colère
Par un prodige incroyable, ce ne peut être Antigonè, bien que ce soit elle que je vois. Ô malheureuse fille du malheureux Oedipe, qu’y a-t-il ? Ceux-ci t’amènent-ils pour avoir méprisé la loi du roi et avoir osé une action insensée ? inquiétude,
incompréhension
DEUXIEME EPISODE
LE GARDE DU CADAVRE
fier de lui
La voici, la coupable. Prise en flagrant délit. Où donc est Créon ?
LE CHORYPHEE :
Il était rentré au palais, mais le voici qui revient tout juste. ( Créon arrive)
LE GARDE DU CADAVRE
soulagé
Roi, je t'amène cette jeune fille qu'on a surprise en train d'arranger la sépulture. Maintenant que tu la tiens, roi, à toi de l'interroger et d'obtenir ses aveux.
Me voici tiré d'affaire, j'ai bien gagné ma liberté ( se prépare à s 'en aller Créon n'a pas reconnu Antigone, elle baisse la tête)
CREON
conscient de son pouvoir
Cette fille que tu amènes, où l'as-tu prise ? Et comment ?
LE GARDE
prend trop de confiance
Je l'ai vue ensevelissant le cadavre que tu as interdit d'ensevelir.. Cela n'est-il point clair et précis ?
CREON, (à Antigone)
Eh bien toi, oui toi, qui baisses le front vers la terre, reconnais-tu les faits ?
ANTIGONE
sûre d'elle, sereine
Je les reconnais formellement.
CREON
(au garde)
il a reconnu sa nièce, fait sortir le témoins pour pouvoir réagir
File où tu voudras, tu es libre.
( à Antigone)
Réponds-moi, connaissais-tu mon interdiction ?
ANTIGONE
sûre d'elle, aucune peur
(elle doit le regarder dans les yeux)
Comment ne l'aurais-je pas connue ?
CREON
un peu déconcerté
Et tu as osé ?
ANTIGONE
idem
Le sort qui m'attend n'a rien qui me tourmente. Je préfère mourir que de voir mon frère sans sépulture, et son âme interdite au séjour des morts.
CREON
furieux, donc exagère
Elle est ma nièce, mais ni elle ni sa sœur n'échapperont au châtiment. Car j'accuse également Ismène d'avoir comploté avec elle. Qu'on l'appelle ! Je l'ai rencontrée tout à l'heure au palais, l'air égaré.
ANTIGONE
essaie de protéger sa soeur
je suis ta prisonnière, que te faut-il de plus ?
CREON
essaie de la raisonner
Rien, ce châtiment me satisfait. Mais ton frère Etéocle, n'est-ce pas lui faire injure que d'enterrer son meurtrier ? Même s'il est aussi ton frère ?
ANTIGONE
solennelle
Je suis faite pour partager l'amour, non la haine.
laisser un silence
CREON
exaspéré
Descends donc là-bas ! Et s'il te faut aimer à tout prix, aime donc les morts ! Moi vivant, ce n'est pas une femme qui fera la loi.
LE CHOEUR
attendri
Voici, devant les portes, Ismène qui verse des larmes à cause de sa sœur. Le nuage qui tombe de ses sourcils altère son visage qui rougit, et sillonne de larmes ses belles joues.
CREON (voyant arriver Ismène )
furieux, agressif
Et toi vipère ! Parle ! Ou vas-tu dire que tu ignorais tout ?
ISMENE
faible, peur des conséquences pour elle
Ma sœur, laisse-moi mourir à tes côtés.
ANTIGONE
seule, ironie froide
Tiens, tu me ferais rire, si j'avais le coeur à rire. Tu as opté pour la vie, moi, je préfère mourir.
ISMENE
essaie des arguments, reprend de l'assurance, pour ne pas se retrouver seule
Vas-tu livrer à la mort la fiancée de ton fils ?
CREON
exaspéré
Il trouvera une autre femme à épouser ! Tu m'importunes à la fin, avec ce mariage !
LE CHORYPHEE
La chose est résolue, je le vois, elle mourra.
LE CHOEUR
triste
Je vois, depuis un temps ancien, dans la maison des Labdacides, les calamités s’ajouter aux calamités de ceux qui sont morts. Une génération n’en sauve pas une autre génération, mais toujours quelque dieu l’accable et ne lui laisse aucun repos. Une lumière brillait encore, dans la maison d’Oedipe, mais voici qu’elle est moissonnée par la faux sanglante des dieux souterrains.
Je ne sais qui a dit cette parole célèbre : — Celui qu’un dieu pousse à sa perte prend souvent le mal pour le bien, et il n’échappe à la ruine que pour très-peu de temps. — Mais voici Hémon, le dernier de tes enfants. Vient-il, gémissant sur la destinée d’Antigone, affligé à cause de ce mariage qui lui est refusé ?
TROISIEME EPISODE
CREON
froid, préoccupé des apparences
Mon fils, le décret irrévocable qui condamne ta fiancée va-t-il te dresser furieux contre ton père ? Ou nous gardes-tu, toi du moins, une affection à toute épreuve ?
HEMON
soumis
Mon père, je t'appartiens. Aucun mariage n'aura à mes yeux plus de prix que ta sage autorité.
LE CHOEUR
souci de paix sociale
À moins que nous nous abusions à cause de notre vieillesse, il nous semble que tu parles sagement.
CREON
soulagé, fier de son pouvoir, le prend de haut
Voilà précisément, mon fils, les sentiments qu'il convient d'avoir : oui, tout doit passer après la volonté d'un père. Je la condamne à mort. L'anarchie est le pire des fléaux. C'est pourquoi notre devoir est de défendre l'ordre et de ne jamais souffrir qu'une femme ait le dessus. Mieux vaut tomber, s'il le faut , sous les coups d'un homme, que d'être appelé vaincu par une femme.
HEMON
diplomate, respectueux
Père, je ne dirai pas que tu as tort. Seulement, d'autres peuvent aussi être dans le vrai. Moi, je passe inaperçu, j'entends ce qu'on dit ici et là : la ville plaint cette jeune fille : son frère tué à la guerre était privé de sépulture, elle n'a pas voulu abandonner son corps aux chiens et aux oiseaux. Cela mériterait plutôt une couronne d'or ! Ne te crois pas l'unique détenteur de la vérité. Ceux qui pensent avoir seuls reçu la sagesse, on découvre bien vite qu'ils sont dans l'erreur. Reviens sur ta décision ; il n'est jamais déshonorant d'écouter un avis judicieux.
CREON
outré qu'on conteste son pouvoir
A mon âge ! Souffrir qu'un jeune homme me donne des leçons !
HEMON
diplomate, vérités générales
Je suis jeune, c'est vrai. Mais juge-moi sur mes actes, non sur mon âge.
LE CHOEUR
sagesse, se déplace de derrière Créon vers le fond de scène, entre les deux personnages
Roi, s’il a bien parlé, il est juste que tu te laisses instruire, et toi par ton père, car vos paroles sont bonnes à tous deux.
CREON
se tourne vers le public parce que tout le :monde le lâche
Appartient-il à l'opinion publique de nous dicter notre conduite ?
HEMON
plus offensif et plus direct, mais sans aller trop loin
Ne vois-tu pas que tu parles là, toi, comme un jeune homme ?
CREON
se sent offensé, donc colère
Ce n'est pas pour moi, peut-être, que je dois gouverner ? N'est-ce pas un principe reconnu que la cité appartient à son souverain ?
HEMON
froid, maître de lui
De cité faite pour un seul, il n'en existe pas. A moins de régner sur un désert ! Je te vois prêt à commettre une injustice.
CREON
méprisant
Tous les mots que tu dis ne sont que pour elle.
HEMON
crescendo, appel aux valeurs de la famille, de la société, aux valeurs divines
Et pour toi aussi, et pour moi, et pour les dieux des enfers.
CREON
très agressif
Cette femme, ; non, jamais tu ne l'épouseras vivante !
HEMON
sang froid / menace calme
Elle mourra donc,, mais sa mort tuera un autre.
CREON
déstabilisé
Tu oses me menacer maintenant ?
HEMON
lucide mais essaie d'y mettre les formes
Où vois-tu que je te menace ? Je ne fais que répondre à tes propres paroles. Si tu n'étais pas mon père , je dirais que c'est toi qui as le cerveau troublé.
CREON
injurieux(technique d'argumentation quand on n'a pas d'argument)
Serviteur d 'une femme ! Cesse de m'énerver !
HEMON
lucide, commente, parle plus fort
Tu t'étourdis de paroles pour t'empêcher de m'entendre !
CREON
colère, menace,
Tu vas payer cher tes reproches insolents
(au garde )
cruauté
Amène cette odieuse fille ! Je veux la faire périr, séance tenante, sous les yeux de son fiancé.
HEMON
calme, défie son père, le met en garde
N'y compte pas ; elle ne mourra pas sous mes yeux. Et toi, tu n'auras plus jamais à supporter ma présence. Donne ta folie en spectacle à d'autres ! ( il sort)
LE CHŒUR.
un peu amer
Cet homme s’en va plein de colère, ô Roi ! Dans un tel esprit, une ardente et cruelle douleur est chose redoutable.
CREON :
perd toute maîtrise
Il passe les bornes, ce petit orgueilleux ! Son Antigone, je l'enfermerai vivante dans un caveau, en lui laissant de la nourriture pour quelques jours. Très loin, dans un lieu désert, afin que la ville échappe à la souillure.
LE CHŒUR.
solennel, sombre, empathique
Mais à mon tour je me révolte, et ne puis retenir mes larmes, lorsque je vois notre Antigone s'avancer déjà vers la chambre où toute vie va s'éteindre.
Seule entre les mortels, libre et vivante, tu descends chez Hadès.
QUATRIEME EPISODE
ANTIGONE
solennelle
Sur mon dernier chemin je m'avance, et je vois mon dernier soleil. Le fleuve des enfers sera mon époux. Me voici, maudite, et sans mari. Toi mon frère, en mourant, tu m'as pris ma vie.
CREON, sur le seuil du palais.
exaspéré parce qu'il n'a pas d'emprise sur elle.
A force qu'elle se répande en complaintes et en gémissements, on n'en finira plus ! N'allez-vous pas l'emmener au plus vite ? Enfermez-la dans le tombeau et laissez-la emmurée là dessous. Moi, j'ai les mains pures.
ANTIGONE
solennelle
Tombeau, ma chambre nuptiale, mon éternelle prison dans la terre ! Je vais y retrouver les miens, que Perséphone a presque tous accueillis parmi les morts. Mais qu'importe ?
Créon dit que j'ai commis un crime d'une audace effroyable. Il me fait arrêter, il m'emmène, il me prive de mon fiancé, de mes noces ; sans amis, seule, je descends vivante au caveau des morts. Qui appellerais-je au secours ? Il n'y a plus d'espoir si les dieux acceptent ainsi que disparaisse celle qui leur obéit.
LE CHŒUR.
reproches
C’est une piété que d’honorer les morts ; mais il n’est jamais permis de ne point obéir à qui tient la puissance. C’est ton esprit inflexible qui t’a perdue.
CINQUIEME EPISODE
(entre Tirésias)
CREON
respectueux
Qu'y a-t-il de nouveau, vénérable devin Tirésias ? Je ne me suis jamais écarté de tes avis.
TIRESIAS
respectueux, crée un temps de tension*
Aussi as-tu gouverné dans la bonne direction. Mais maintenant…
CREON
commence à être ébranlé
Qu''y a-t-il ? Je frissonne à tes paroles…
TIRESIAS
sérieux, réprobateur
Les dieux n'acceptent plus les sacrifices qu'on leur offre ; tu les as offensés. Ne persécute pas un cadavre. Un mort n'a pas besoin d'être tué deux fois.
CREON
déterminé, importuné
Ah, vieillars ! Jamais, même s'il prend fantaisie aux aigles de Zeus d'en porter les lambeaux jusqu'au trône de leur maître, jamais je ne tremblerai au point de laisser ensevelir ce corps !
TIRESIAS
sérieux, réprobateur
Tu m'accuses de prédire des mensonges ?
CREON
déterminé
Tais-toi, rien ne me fera revenir sur mes décisions.
TIRESIAS
met en garde, froid
Soit, je t'avertis donc à mon tour que plusieurs soleils n'accompliront pas leur course que tu ne verras la mort de ton enfant. Je préfère m'en aller.
LE CHŒUR
double la mise en garde
Ô Roi, cet homme s’en va, ayant prédit de terribles choses. Et nous savons, depuis que nos cheveux noirs sont devenus blancs, qu’il n’a jamais rien prophétisé de faux à cette ville.
CRÉÔN
troublé
Je le sais aussi et mon esprit se trouble. Que faut-il faire ? Parle ; j’obéirai.
LE CHŒUR
conseil très ferme
Fais sortir la jeune fille de son caveau souterrain ; dresse au mort un tombeau, sans perdre un moment, pour éviter le châtiment divin.
CRÉÔN.
appréhension, espère éviter le pire
Tu me conseilles ceci et tu penses que je dois le faire ?
LE CHŒUR.
Certes, Ô Roi, et très-promptement. Les châtiments des Dieux ont des pieds rapides et atteignent en peu de temps ceux qui font le mal.Va donc ! Agis toi-même, et ne remets ce soin à aucun autre.
CRÉÔN.
résolu
Hélas ! je renonce avec peine à ma première pensée, mais j’y renonce. De même que je l’ai liée, je la délivrerai moi-même.
DERNIER EPISODE
(entre un messager)
LE CHOEUR
Qui a tué ? qui a péri ? Parle.
LE MESSAGER
empathique et solennel tout au long
Hémon a péri de sa main, révolté contre un père assassin.
LE CHŒUR
Ô devin, elles ne mentaient donc pas, tes prédictions !
CHORYPHEE
J'aperçois Eurydice, mère d'Hémon, la malheureuse épouse de Créon.. A-t-elle compris qu'on parlait de son fils ?
EURYDICE (sur le seuil du palais)
résignée
J'ai appris un malheur pour mon fils, et je suis tombée à la renverse dans les bras de mes femmes, paralysée par la terreur. Allons, quelle que soit la ,nouvelle, répétez-la devant moi. Je saurai entendre mon malheur.
LE MESSAGER
C'est moi qui ai guidé le roi à travers la plaine, vers le corps lamentable de Polynice. Puis nous avons baigné ce corps dans l'eau pure et nous l'avons enveloppé de branchages frais, avant de le déposer dans le sol.
Puis nous gagnons le caveau de la jeune fille. Des cris de désespoir lui parviennent confusément. Créon gémit. : « N'est-ce pas la chère voix de mon fils ? Je crois la reconnaître… Serviteurs ; courez au caveau, vite !»
Au fond du tombeau, nous découvrons la jeune fille, pendue, le cou serré dans un nœud de son écharpe de lin. Hémon s'était jeté contre ce corps qu'il étreignait. Il gémissait sur sa fiancée descendue dans la mort. Son père l'aperçoit, il entre, tout secoué de rudes sanglots, et l'appelle d'une voix plaintive : « Infortunée, qu'as-tu fait?Mon enfant, je t'implore, je te supplie de sortir ! »
Mais le fils, comme fou, lui crache au visage, et dégaine sans lui répondre un mot. Son père bondit de côté , esquivant le coup. Alors le malheureux tourne sa fureur contre lui-même : allongeant le bras, il appuie sur sa poitrine la pointe de son épée et l'enfonce. A peine conscient, lui qui déjà défaille, il attire contre lui la jeune fille dont la joue pâle est inondée de sang. Les deux cadavres gisent, enlacés.
(Eurydice entre au palais, lentement, abattue)
CHORYPHEE
La reine, sans un mot, s'est retirée. Un trop grand silence me paraît aussi lourd de menaces qu'une explosion de cris.
LE MESSAGER
Entrons dans le palais. Tu as raison : un trop grand silence est lourd de menaces.
CHORYPHEE
dégoût, désespoir, apitoiement
Un instant, voici le roi qui s'avance.
CREON
s'apitoie sur lui-même
Ö mortelle obstination ! Malheur à moi ! O mon fils,fauché par le destin, hélas ! C'est ma faute, ah ! Fous que j'étais, c'est ma faute !
LE CHŒUR
Hélas, il est bien tard pour voir clair, je le crains.
CREON
Malheureux que je suis, la mort m'ouvre les yeux.. Hélas ! Hélas ! Ô dure épreuve d'être un homme !
MESSAGER DU PALAIS
Maître, tu vas entrer en possession de ton malheur tout entier : tu en portes une partie dans tes bras, mais l'autre attend à l'intérieur du palais et tu ne vas pas tarder, je crois, à l'avoir sous les yeux.
CREON
Que m'arrive-t-il de pire ? Ou seulement de plus ?
MESSAGER DU PALAIS
Roi, ta femme vient de succomber, la malheureuse, à la blessure qu'elle s'est faite.
CREON
désespoir, à la limite de la folie
Quelle est cette nouvelle encore ? Cette horrible nouvelle ? Ai-je bien entendu ? Ah, mon ami, tu as dit… Quoi ? Ah ! C'est un mort que tu achèves ! Quoi ? Ma femme, à présent, ma femme après mon fils, à son tour, s'est frappée ? Ainsi, partout, partout autour de moi, partout, la mort….
MESSAGER DU PALAIS
Blessée d'une pointe aiguë, elle a laissé sur ses yeux ses paupières pleines d'ombre se fermer ; elle a maudit, dans son dernier souffle, le père meurtrier de ses enfants.
CREON
Ah ! Ah ! Je suis ivre d'horreur, Je suis un misérable. Vite, vite, que la mort vienne ! Que je la voie enfin, : je la trouverai belle pour la première fois, car ce sera ma mort ! Qu'elle se hâte à mon appel ! Je ne veux plus voir encore se lever le jour.
LE CHŒUR
Ce qui doit être sera.
CREON
Mon fils, non, je ne voulais pas, ni toi ma femme, vous tuer. O détresse, tout m'échappe de ce que je tenais ; je n'en puis plus.
Finale :
LE CHŒUR.
La meilleure part du bonheur est donnée par la sagesse. Les paroles superbes attirent aux orgueilleux de terribles coups du sort qui leur enseignent, un peu tard, la sagesse.